Bâtiments intérieurs
En continuant vers le lac, un étroit bâtiment annexe, les deux premiers étages de l’actuel 59 Sud, abrite la domesticité de la Belle Dame, et probablement les cuisines. Nous avons retrouvé l’emplacement de l’âtre. Une fenêtre murée prise dans un mur très épais au milieu de l’espace central montre que ce bâtiment était de moitié moins profond à l’origine. On tenait très probablement des animaux dans la deuxième courette côté lac, où se trouve une case qui ressemble à une porcherie.
Au XIXème siècle, la famille Durieu, des boulangers cossus comme le montrent les matériaux utilisés, installe dans ce bâtiment, qui se trouve donc séparé du magasin par la première cour côté Italie, un vaste laboratoire avec un grand four et une nouvelle cheminée très volumineuse. La famille habite les étages. Cet artisan avait les moyens de remanier la façade côté lac de cette bâtisse, il la rehausse en briques rouges et décors blancs selon ce qui devait être une mode à l’époque, puisque c’est sur les bords du Saint Laurent à Montréal que nous avons retrouvé une façade jumelle!
Les affaires vont très bien, puisqu’il construit une deuxième four en comblant la première courette.
Quai Perdonnet
Que se passe-t-il pendant ce temps dans les bâtiments vers le lac? Les voûtes moyenâgeuses, sur le toit desquelles se trouvent des jardins ou promenades, font partie du front lacustre caractéristique de notre ville jusqu’à la construction du quai autour de 1840. Apparaissent autour de cette époque la taverne trapue au bord du lac, puis la maison bourgeoise en retrait. A la génération suivante, ces deux maisons sont reliées, et un grand toit en terrasse va perpétuer la tradition de vie à l’étage: jusqu’à une époque très récente, que ceux de nos lecteurs qui se souviennent du bord du lac dans les années septante veuillent bien le confirmer, les bourgeois préféraient voir les rives du lac d’un peu loin!
Rue du Léman
Vers 1840, le château des Belles Truches est rasé et remplacé par l’Hôtel des Trois Couronnes. Dans la foulée on supprime la dernière boucherie, on continue le quai, on comble avec un glacis le bout de la rue, l’alignement de la rue est rectifié, elle est rebaptisée rue du Léman et le bâtiment du 6 vient combler l’espace entre le 4 et ce qui deviendra le 8. Il est bien possible que le boulanger ait mis à disposition ce qu’il n’habitait pas pour servir d’annexe à l’Hôtel du Léman voisin ou de pension de famille.
Les propriétaires et les habitants
La parcelle appartient donc à un riche boulanger de la famille Durieu. Une fille Durieu a donné naissance à Charles-Alphonse Gunthert, architecte de la firme Peter Cailler Kohler. La maison a reçu une médaille à l’exposition internationale de Paris de 1878 pour ses Zwieback, qui sont envoyés dans le monde entier au moyen de boîtes en fer blanc dont subsistent quelques exemplaires. Notons que la fameuse recette a été transmise de génération en génération et subsiste de nos jours chez Titus, rue des Deux-Marchés.
Après la guerre la propriété est cédée à un autre boulanger. Il perd ses jambes sous un train au début des années septante, l’entier de la parcelle est vendu alors à André Guigoz, ferblantier et guide de montagne. Le laboratoire et les fours ne peuvent pas être maintenus aux normes et l’exploitation doit s’arrêter en 1983.
Commence alors une période d’incertitude où les espaces sont habités provisoirement, sans entretien, par différentes familles dont la plupart en gardent un excellent souvenir. Cette bohème sympathique prend fin quand la commune finit par déclarer les lieux insalubres, ne laissant plus d’autre choix que le changement de propriétaire. Les locataires quittent les lieux les uns après les autres d’assez bonne grâce pour rendre possible la rénovation tant attendue.